«  Moi j’errais tout seul, promenant ma plaie Au long de l’étang parmi la saulaie Où la brume vague évoquait un grand Fantôme se désespérant Et pleurant avec la voix des sarcelles Qui se rappelaient en battant des ailes. » – Paul Verlaine              Les peintres et les poètes ont essayé de transmettre le charme mystérieux des effets du brouillard. Obscur, changeant, il est difficile à cerner. Il forme un espace indécis et imprécis entre deux mondes, c’est un ailleurs caractérisé par son manque de visibilité et son absence de lumière. Sa métaphore, comme lieu d’ensevelissement, a inspiré de nombreux écrivains : l’obscurité, l’indéterminé, l’indécis sont associés à la tristesse et la mélancolie, voire à la peur de la mort. Tout est immobile, le temps est suspendu, l’instant a un goût d’éternité. Le brouillard, en désorganisant l’espace, en estompant la frontière entre le réel et l’imaginaire, favorise l’élaboration fantasmatique. S’ouvre alors un espace de liberté, théâtre éphémère, hors de l’espace socialisé, où tout peut surgir, tout devient possible. Dégagé des contingences terrestres, on est envahi par le doute et l’incertitude, on imagine des formes nouvelles. Doté d’un pouvoir ludique, le brouillard joue avec les formes, efface le pied d’une montagne, dissimule les lieux connus et révèle un monde nouveau. Se dressant comme un mur, dissimulant un monde invisible aux yeux des êtres vivants, il révèle un premier plan : la tige d’une herbe, un tronc d’arbre, seuls repères dans un univers sans limites, accrochant le regard errant qui ne peut pénétrer cet au-delà imaginaire fait d’inconnu. Il est conçu comme une barrière, une frontière, un seuil avant de pénétrer dans un ailleurs, « l’Autre Monde ».                        Ces atmosphères sont assez complexes à rendre en photo. En effet le brouillard atténue les contrastes (peu prononcés) et les couleurs (peu saturées) et a tendance à homogénéiser la luminosité de la scène. Daniel Nikolic cadre et compose ses photographies de manière à mettre en évidence ce brouillard, qui enveloppe littéralement le décor. Ces photographies ont été prises en février 2023, au Vietnam, dans la province septentrionale de Ha Giang, région frontalière avec la Chine, située à l’extrême nord-est. Cette destination authentique, hors des sentiers battus, à la beauté époustouflante sont très inspirantes. Cette série de photographie a été travaillé avec un philtre et un ajout de bordure noire, évoquant les anciennes pellicules, pour témoigner de l’intemporalité de ces ambiances irréelles.